ZOOM SUR : À L’Abri du Besoin, Norman Rockwell (1942)

Lucas Wils
Publié le 22 Novembre 2018
ZOOM SUR : À L’Abri du Besoin, Norman Rockwell (1942)

En ce jeudi 22 novembre, nous traversons l’océan pour rendre une petite visite à nos amis américains ! Alors que nous attendons sagement de pouvoir dévorer nos chocolats du calendrier de l’Avent qui traine dans la cuisine depuis déjà plusieurs semaines, les américains, eux, ont déjà commencé les festivités de fin d’année ! Ce 4e jeudi de novembre signe la célébration de Thanksgiving. Alors profitons de cette journée pour s’intéresser au tableau de Norman Rockwell, A l’Abri du Besoin, 1942.

Norman Rockwell, A l’abri du besoin, 1942

1. Le peintre de la vie américaine

Norman Rockwell est un artiste américain connu pour ses peintures et illustrations. Il travaille avec des magazines et illustre des textes, des histoires. Sa plus célèbre collaboration est celle faite avec le magazine Saturday Evening Post, qu’il illustre de 1916 à 1960. Dans son style pictural, il est considéré comme un hyperréaliste. Ses œuvres sont des « storytelling », c’est à dire qu’elles racontent quelque chose, elle sont narratives. Il s’illustre aussi dans la caricature et réalise certaines œuvres comiques.

2. Thanksgiving

Jean Leon Gérome Ferris, Le Premier Thanksgiving, 1863-1930

L’œuvre « A l’abri du besoin » représente une scène traditionnelle de la vie américaine des années 30-40. Il s’agit du repas de Thanksgiving, qui est tout aussi important que Noël pour les américains. Même si la mention de cette fête n’est pas faite dans le titre de l’œuvre, la présence de cette énorme dinde rôtie permet de le déduire facilement. En outre, la dinde rôtie est à Thanksgiving ce que les crêpes sont à la Chandeleur ! A l’origine, cette fête était religieuse et nationale. Si elle reste une institution encore maintenant, l’aspect religieux s’estompe de plus en plus. Il s’agit plutôt d’une fête familiale, d’une occasion de se retrouver autour d’un bon repas.

3. Les Quatre Libertés

Le tableau de Norman Rockwell fait en réalité partie d’un groupe de quatre œuvres, nommées les « Quatre Libertés ». Elles font écho à un discours de Franklin Roosevelt, prononcé le 6 janvier 1941 au Congrès sur l’état de l’Union. En pleine guerre mondiale, Roosevelt se faisait le défenseur des droits de l’Homme. Alors que l’Allemagne nazie crée la terreur en Europe, il développe une vision d’un avenir de paix, basée sur quatre libertés fondamentales. Il parle de la liberté de parole, de culte, de vivre à l’abri de la peur et à l’abri du besoin.

Liberté de Parole

Liberté de Culte

A l’Abri de la Peur

A l’Abri du Besoin

« Dans l’avenir, que nous cherchons à rendre sûr, nous attendons avec impatience un monde fondé sur les quatre libertés humaines essentielles »

Ce discours montre deux choses : le président développe d’abord une image positive de l’après-guerre. Il souhaite établir une vision idéaliste et réconfortante de l’Amérique et de son mode de vie. Il déclare aussi indirectement l’entrée des États Unis en guerre. L’Amérique, se battant pour la liberté, n’a d’autre choix que de combattre l’Allemagne nazie.

Pour illustrer ce discours, le Saturday Evening Post commande des illustrations à Rockwell. Il mit sept mois à les réaliser et après l’approbation de Roosevelt lui-même, elles sont publiées entre le 20 février et le 13 mars 1943. C’est un succès sans nom puisque 2,5 millions de brochures seront réimprimées après la publication. Jusqu’à la fin de la guerre, environ 4 millions d’affiches des Quatre Libertés seront imprimées. Les œuvres de Rockwell sont utilisées à des fins de « propagande » positive pendant la guerre, et illustrent des injonctions pour les civils pour contribuer au financement de la guerre. Puis seront utilisées en timbre, dans les manuels scolaires etc. Elles créent la renommée de l’artiste.

4. Tableau réaliste ou idéaliste ?

Norman Rockwell est connu pour sa précision des détails. Il est un artiste réaliste, qui donne beaucoup d’importance à la minutie des expressions, des gestes. Il ne laisse rien au hasard ce qui permet à ses œuvres de parler au plus grand nombre puisque l’on peut aisément s’identifier aux sujets représentés. Dans « A l’abri du besoin », il peint avec une grande précision les expressions des visages, les aliments sur la table et surtout la dinde.

Mais au-delà de l’aspect réaliste, Rockwell idéalise aussi beaucoup ses tableaux. Rappelons leur utilité de propagande pendant la guerre, qui veut déjà dire beaucoup. Il peint une Amérique idéalisée, qui donne envie à tout le monde. Des sourires, l’harmonie, l’abondance sert à montrer qu’ils ne manquent de rien et qu’ils vivent une vie pleine de joie. Or, en des temps de guerre, où les restrictions étaient de mise et où l’horreur frappait, cette vision de joie et d’abondance crée un décalage. Alors malgré une technique réaliste, le sujet est peut être exagéré, idéalisé. Il tend plutôt à montrer l’idée d’un avenir meilleur plutôt que la vie réelle de 1942.

5. Temps de Guerre

Ce n’est plus un secret (puisque nous l’avons déjà dit 36 fois !) mais l’œuvre a été réalisée durant la Seconde Guerre Mondiale. Norman Rockwell est un peu le Jacques Louis David des temps modernes. Pourquoi ? Et bien parce que les deux hommes ont pris part à la guerre grâce à leurs pinceaux. Si ils ne se sont pas rendus sur les zones de combats et d’affrontements, ils ont propagé et pris part à la guerre par l’art.

David a par exemple représenté le Serment du Jeu de Paume en 1791 au moment de la Révolution, permettant ainsi de montrer sa participation à cet événement. Par cette œuvre, il relate un fait historique mais en fait presque un objet de propagande, comme s’il appelait tous ceux voyant son œuvre à se révolter aux côtés de Robespierre, Mirabeau & cie.

David, Le Serment du Jeu de Paume, 1791

Norman Rockwell suit quelques peu ce principe. Il peint une idéalisation de la vie américaine et des libertés de telle sorte à convaincre le peuple de se mobiliser, de contribuer au financement de la guerre et de s’engager dans l’armée. Ses peintures et illustrations sont sa contribution aux efforts de guerre.

Dès la Première Guerre Mondiale, Rockwell était engagé pour son pays. Il voulait aller sur le front mais il a été refusé car en sous poids. La nuit suivante, il s’est gavé comme une oie pour atteindre le poids idéal et être accepté comme peintre de guerre. Cela montre à quel point il était engagé pour sa patrie.

6. Coucou toi !

Étant très certainement trop obnubilés par cette énorme dinde, vous n’aviez peut être pas prêté attention à cette petite tête qui nous regarde avec un petit air malicieux. Et bien il s’agit tout simplement du voisin de Norman Rockwell, Jim Martin, nous invitant très certainement à venir partager ce repas de Thanksgiving !