ZOOM SUR... Le Laocoon

Publié le 15 Novembre 2018
ZOOM SUR... Le Laocoon

« Aïe ». C’est le premier mot qui nous est venu à l’esprit en voyant le groupe statuaire du Laocoon. Et puis on s’est demandé ce qui a bien pu faire que ces trois personnages se retrouvent enguirlandés comme des sapins de Noël par un serpent qui n’a pas du tout l’air sympa. Regardez ses dents se planter dans le corps du personnage central. On en frissonne de douleur !

Groupe statuaire du Laocoon, vers 40 av.J.-C. , Musée Pio Clementino, Vatican

Alors, si vous êtes ophidiophobique (c’est le nom pour la phobie des serpents, merci Google !), cet article n’est pas pour vous. Mais lisez le quand même, on vous jure qu’il est sympa et qu’on y a mis tout notre cœur !

 

  1. La Guerre de Troie

Pour comprendre cette œuvre, qui est un groupe statuaire antique (vers 40 av. J.-C.) attribué aux sculpteurs Agésandros, Polydoros et Athénodros, il faut d’abord la resituer dans son contexte. Bingo ! C’est ce qu’on s’apprête à faire !

 

La sculpture représente Laocoon, un prêtre de la ville de Troie. Au moment de la guerre qui oppose les troyens aux grecs, un événement surprenant se déroule. Les grecs capitulent laissant la victoire aux troyens et leur offrant même un immense cheval de bois. Heureux comme tout, le peuple de Troie fait entrer le cheval dans la cité et célèbre sa victoire lors d’une grande soirée de fête. Oui mais voilà, les grecs étaient caché dans le cheval et une fois dans la cité, ils ont attendu la nuit pour sortir de leur cachette et attaquer les troyens, les décimant.

Laocoon et le cheval de Troie, Bas relief du Gandhara, II-IIIe siècle ap. J.-C.

Laocoon, lui, avait prévenu les troyens que les grecs ne pouvaient être partis comme ça et que le cadeau offert était un cadeau empoisonné. Il leur a dit « Timeo danaos, et dona ferentes » (je crains les Grecs même lorsqu’ils offrent des présents). Pour leur faire entendre raison, il aurait lancé son javelot sur le cheval, qui aurait sonné creux. Mais les grecs, trop exaltés par la prétendue victoire, ne s’arrêtent pas à ce détail, pourtant précieux. Aucun de ceux de son peuple n’ont voulu le croire et ils en ont payé le prix cher.

El Greco, Laocoon, 1610-1614 (autre représentation de la mort du Laocoon et de ses fils)

Laocoon lui, est tué avec ses deux fils par deux serpents. Pourquoi direz-vous ? Et bien parce que selon le mythe, les dieux étaient du côté des achéens, le peuple grec ennemi des troyens. Lorsque Laocoon a mis en garde contre le cheval de Troie, Poséidon aurait envoyé deux serpents le tuer, comme pour le faire taire, et assurer la victoire aux grecs.

 

  1. Pathos ou Pas-beau ?

Maintenant que l’on en sait un peu plus sur l’histoire de cette sculpture, nous pouvons nous pencher sur les visages des trois personnages, pour le moins très expressifs. Alors oui, ils sont en train de mourir dans d’atroces souffrances ce qui, on vous l’accord, peut tout à fait justifier ces expressions. Mais ces expressions si affirmées étaient assez nouvelles pour l’époque. Rappelez-vous, nous avions parlé du Guerrier troyen tombé au combat dans un précédent article. Il mourait, sourire aux lèvres, puisque les visages n’étaient jamais très expressifs. Avec le groupe du Laocoon, on se trouve dans une période de transition, appelée hellénistique.

L’art hellénistique se caractérise, entre autres, par une représentation de la souffrance humaine, que l’on nomme le pathos, qui se traduit par le pathétique. Ici, le Laocoon est représenté bouche entre-ouverte, dans un cri silencieux. L’un de ses deux fils semble avoir déjà été mordu et succombe à ses blessures tandis que l’autre regarde son père d’un air terrifié. Il essaye de se dégager du cops du serpent mais sera vraisemblablement le prochain sur la liste de l’animal, occupé à ce moment-là à mordre Laocoon. Contrairement aux sculptures antérieures, les expressions des personnages peuvent transgresser l’idée du « beau » qui était pourtant primordiale. On image donc qu’à l’époque l’œuvre a pu suscité quelques réactions négatives.

 

  1. La découverte

Le groupe statuaire a été découvert un peu par hasard à Rome, en janvier 1506. Alors que des ouvriers travaillent sur les terres de la vigne de Felice di Fredis, sur l’Esquilin, ils butent sur un morceau de pierre. Peu à peu émerge ce bloc de marbre de 2.40m de haut. Jules II, le pape de l’époque est vite mis au courant de cette découverte et charge un architecte, Giuliano de Sangallo d’emmener avec lui Michel-Ange sur les lieux. Le pape étant un grand connaisseur d’art, il voulait faire évaluer l’œuvre. Aussitôt arrivé sur place, l’architecte reconnaît l’œuvre qu’il a devant les yeux grâce à un texte de Pline l’Ancien qui parlait de ce groupe statuaire. Il disait « tel est le Laocoon, dans le palais de Titus, morceau préférable à toutes les productions soit de la peinture, soit de la statuaire ; il est d’un seul bloc, ainsi que les enfants et les replis admirables des serpents. Ce groupe a été fait de concert par trois excellents artistes rhodiens, Agésandros, Polydoros et Athénodoros ».

 

Hubert Robert, La découverte du Laocoon, 1773

Une fois que le pape a été informé de cette découverte, il a fait convoquer le propriétaire des terres sous lesquelles elle se cachait depuis près de 10 siècles, six pieds sous terre. Un duel se prépare puisque le pape veut absolument récupérer l’œuvre et le propriétaire souhaite la garder. Suite à de nombreux débats (et quelques billets), un accord est trouvé et le pape récupère la trouvaille. Le Laocoon arrive au Vatican au son des tambours, des acclamations, des chants et orné de fleurs, avant de finir son parcours dans les jardins du Vatican, où sont regroupées les sculptures du pape Jules II. Toute cette mise en scène montre l’importance de cette œuvre dans l’histoire de l’art antique et pour tous ses contemporains.

 

  1. Un seul bloc ?

Si l’on reprend les dires de Pline, la sculpture a été réalisée en un seul bloc. Difficile d’imaginer aujourd’hui l’envergure d’un tel travail mais aux vues des formes, des lignes serpentines, le travail a du être minutieux. Mais si Pline s’était trompé ?

 

Après étude de la sculpture, Michel-Ange et Guiliano de Sangallo se sont aperçu que le groupe statuaire avait été réalisé en, au minimum, quatre blocs de marbre. Les assemblages et soudages étaient si bien réalisés que seuls des yeux d’experts pouvaient se rendre compte de cela. Comme quoi, même Pline peut se tromper, ça donne de l’espoir !

 

  1. Eh Laocoon, c’est quoi ta salle de sport ?

Vous avez déjà vu un prêtre bodybuildé vous ? Nous non, à part Laocoon. Alors aucune réponse ne nous sera apportée sur le régime alimentaire de l’époque, ou sur la marque des protéines utilisées. Mais ces corps athlétiques sont énervants pour nous autres, qui payons un abonnement à la salle de sport, suons comme des phoques pour finir avec toujours un bourrelet en bas du ventre.

En réalité, la représentation de corps nus aussi musclés, tendus est propre à l’art hellénistique. Ils permettent d’accentuer la tension dramatique des sculptures et des actions en cours, donnant un aspect héroïque aux personnages. Mais aussi de montrer le talent et le savoir des sculpteurs. En sculptant des corps si musclés et tendus, les sculpteurs pouvaient montrer qu’ils avaient étudié l’anatomie, et qu’ils avaient une connaissance du corps humain et des os, des muscles qu’il comporte.

 

Donc que l’on se rassure, le prêtre et ses enfants n’étaient peut-être pas si parfait d’anatomie !

 

  1. Aie

Se faire mordre par un serpent, c’est pas très sympa et on peut aisément comprendre le cri de douleur de Laocoon. Mais entre nous, à la rédac’ on a tout de suite assimilé cette expression de douleur à une sensation que vous connaissez tous. Avouez qu’on est tous un peu des Laocoon quand on se cogne l’orteil dans le coin de la porte, non ?