Niki de Saint Phalle - 23 ans après sa disparition 

Berthille Lorillou
Publié le 22 Mai 2025
Niki de Saint Phalle - 23 ans après sa disparition 

Catherine Marie-Agnès Fal de Saint Phalle nait le 29 octobre 1930. Son nom d’artiste Niki de Saint Phalle provient d’un surnom donné par sa mère qui l’a renommée “Niki”. Elle rejoint ensuite ses parents aux États-Unis, à Greenwich où elle est élevée par une nourrice baptisée “Nana”.  

En 1994, dans son livre Mon Secret suivi par Traces en 1999, toujours dans cette lignée autobiographique. L’artiste dévoile publiquement le viol qu’elle a subi par son père à l’âge de 11 ans.  

Niki de Saint Phalle, l’art, une échappatoire

Niki débute sa carrière en tant que mannequin entre 1948 et 1950 chez Vogue, Harper’s Bazaar ainsi que d’autres magazines français et américains. Elle s’unie à l’écrivain Harry Mathews dans cette même période.   

En 1953, elle est forcée d’interrompre sa formation théâtrale commencée en 1951 pour cause de dépression grave. Elle est alors hospitalisée à Nice. Cet événement la pousse à se consacrer à l’art.  

Après la naissance de son second enfant en 1955, son identité artistique commence à se marquer (s’imposer) véritablement. Elle part à Madrid et Barcelone et y découvre l’univers d’Antoni Gaudí. Sa rencontre avec Jean Tinguely en 1956 lui permettra quelques années plus tard de faire partie du groupe des Nouveaux Réalistes.  

Les Nouveaux Réalistes 

Niki de Saint Phalle, Tir, 1961, plâtre, peinture, métal et objets divers sur de l’aggloméré, 175 x 80 cm, Paris, Centre Georges Pompidou 

Sous l’impulsion d’Yves Klein et Pierre Restany, le Nouveau Réalisme, déjà présent dans les années 1950 fait l’objet d’une déclaration commune en 1960 rendant officielle l’existence de ce mouvement. Cette dernière est premièrement signée par Yves Klein, Pierre Restany, Arman, François Dufrêne, Raymond Hains, Martial Raysse, Daniel Spoerri, Jean Tinguely et Jacques de la Villegé. Dans un second temps, César,  Mimmo Rotella, Niki de Saint Phalle et Gérard Deschamps s’ajoutent en 1961.  

Les caractéristiques de ce mouvement comprennent l’utilisation d’objets du quotidien et d’objets jetés. L’idée est de rendre l’objet banal extraordinaire et de donner un second sens aux objets après usure. Cela permet selon les artistes de ce mouvement de s’interroger sur la société de consommation en plein développement en France et dans le monde entier à cette époque. La notion de performance et de gestes artistiques est aussi importante. C’est ce que met en oeuvre Niki de Saint Phalle, la seule femme de ce groupe d’artistes dans son oeuvre Tir de 1961. Pour réaliser cette oeuvre elle organise 12 actions de tirs entre 1961 et 1962 sur ses assemblages de plâtre peuplés de sacs de couleurs qui explosent par des tirs à la carabine.  

En 1959, l’artiste prend connaissance d’artistes américains tel Willem de Kooning, Jackson Pollock, Robert Rauschenberg et Jasper Johns. L’influence de ces artistes se retrouve majoritairement dans la manière d’appliquer la peinture et la gamme chromatique.  

Robert Rauschenberg, Collection, 1954-1955, tissu, métal, huile, papier et bois sur toile 

On retrouve dans cette œuvre quelques similitudes à savoir les matériaux utilisés, la gamme chromatique et la verticalité de la disposition de la couleur avec la composition Tir de Niki de Saint Phalle.  

Ici, les couleurs vives, la thématique de la femme ainsi que sa position non conventionnelle font écho aux fameuses Nanas de l’artiste féminine.  

Niki de Saint Phalle, Elle-une cathédrale, 1966, 28 x 23 x 6 m, Stockholm, Moderna Museet 

Une part de son adolescence rebelle persiste dans ses œuvres tout comme son caractère engagé. Niki écrit et illustre un livre en 1987 pour la prévention du sida dénommé AIDS: You Can’t Catch It Holding Hands (Sida: tu ne peux pas l’attraper en tenant la main). L’artiste est également féministe et lutte contre la domination patriarcale. Une de ses œuvres les plus représentatives par son approche parfois désignée comme choquante est Elle-une cathédrale. Crée de concert par Niki de Saint Phalle, Jean Tinguely et Per Olof Ultvedt, ce “monument” de six tonnes invite les spectateurs à pénétrer à l’intérieur de l’œuvre par les parties génitales de la Nana.  

Un partenariat d’amour 

Le couple de Niki de Saint Phalle et Jean Tinguely est devenu emblématique. Les deux artistes font souvent l’objet de rétrospectives communes. Ils produisent communément de nombreuses œuvres comme la Fontaine Stravinski à Paris récemment restaurée.  

Les sculptures mécanisées sont animées par les jets d’eau fonctionnant dans un circuit fermé. La fontaine est commandée par le maire contemporain de Paris, Jacques Chirac aux deux artistes. Cette commande se fait dans une dynamique des années 1980 en faveur de la création artistique contemporaine monumentale. Cette réalisation est faite en hommage au compositeur russe Igor Stravinsky (1882-1971) et inspirée de son “Sacre du Printemps” qui fit polémique en 1913 lors de la représentation du ballet au théâtre des Champs-Élysées.  

Niki de Saint Phalle, Jean Tinguely & collaborateurs, Le Jardin des Tarots, 1979-1998, Italie, Garavicchio de Pescia Fiorentina 

Dans le Jardin méditerranéen par excellence sont disposé sculptures, fontaines et maisons habitables. Le soleil toscan se reflète sur les œuvres entourées d’oliviers et végétation diverse. Le Jardin des Tarots est aujourd’hui administré par la Fondation privée il Giardino dei Tarocchi.  

Passionnée d’ésotérisme, les 22 sculptures représentent les Arcanes majeurs du Tarot. Comme pour toutes ses sculptures à grande échelle, elle plaque du béton et du polyester sur une structure en métal, le tout recouvert d’une mosaïque de céramique, verre ou plastique. À partir de 1983, toutes les céramiques sont fabriquées sur place.   

Quelques exemples de sculptures

  • Le Soleil : Le soleil est représenté par une structure anthropomorphique. Il est debout, ses jambes écartées laissent passer un escalier. Son visage est un soleil, reprenant avec les bras les couleurs de la carte du Tarot. Le haut de la structure est comparable à celle de L’Oiseau de Feu de la Fontaine Stravinsky. La position verticale du personnage permet d’attribuer la signification de la carte à l’endroit ; clarté, succès, épanouissement, estime et paix. L’envers désigne le doute, l’excès, le blocage, la discorde et la tristesse.  

  • L’Impératrice : Cette sculpture en forme de sphinx est habitable. En 1983, Niki de Saint Phalle y emménage pour sept ans. Tandis que l’intérieur est recouvert d’une mosaïque de miroirs vénitiens, la chevelure de l’Impératrice est décorée de miroirs bleu électrique. Une Terrace-belvédère, autrefois accessible par l’extérieur se trouve en contrebas de la chevelure de la statue. La signification de la carte du Tarot : à l’endroit, la carte indique l’intelligence, la compréhension, le pouvoir, le dynamisme et la créativité. À l’envers, elle est synonyme de superficialité, mensonge, manque, vanité et nervosité.

  • La chapelle dominée par la figure de la Tempérance : Cette structure a une signification importante pour le couple de Niki de Saint Phalle et Jean Tinguely. En 1983, Jean endure une opération du cœur. Niki lui dédie cette chapelle à la suite d'une promesse qu’elle s’était faite s'il survivait. La Tempérance désigne à l’endroit l’harmonie, la transmission, la patience, le réconfort et la douceur. Si la carte est à l’envers, cela témoigne l’excès, le manque de vision, l’impétuosité, l’instabilité et le déséquilibre.

Cette création monumentale, par ses couleurs et lignes serpentines s’inspire volontiers d’Antoni Gaudí. À l’entrée du Jardin, Niki écrit en italien une forme de testament dans lequel elle exprime son amour de l’art italien et l’importance de sa rencontre avec les créations de Gaudí. De même, elle parle de ses motivations, de la difficulté d’édifier un tel chef-d'œuvre et du cheminement intérieur que cela lui a permis de fournir. Elle dit : “Ma vision était renforcée par ces expériences et je me suis décidée, à mon tour, à la réalisation d’un jardin qui inspire, dans un monde tourmenté, des sentiments artistiques de sérénité et d’amour pour la Nature.” 

Une de ses volontés les plus profondes aborde l’ouverture au public. Les œuvres étant fragiles et nécessitant des soins précis et régulier, le site ne doit pas être ouvert toute l’année. Elle ajoute également qu’elle ne souhaite pas qu’il y ait de visite guidée afin de laisser le spectateur libre de s’imprégner du lieu.  

Bien que Niki de Saint Phalle ait réalisée d’autres sculptures monumentales, cette idée de Jardin est unique dans sa création. Les projets se rapprochant le plus du Jardin des Tarots ont été réalisés par d’autres artistes tel de Park Güell de Gaudí ou encore le Parc des Monstres à Bomarzo par Pier Francesco Orsini.  

Niki de Saint Phalle décède en 2002 en Californie atteinte d’un emphysème pulmonaire.  

Pour plus d’informations, rendez-vous sur notre plateforme de vidéo à la demande. 

Pier Francesco Orsini, Parco dei Mostri (Parc des Monstres), XVIe siècle, Italie, Bomarzo